Quand l'art rencontre la finance... par Marcel Duchamp

Ou comment Duchamp, pape du dadaïsme, trouva le moyen de jouer à la roulette en toute quiétude au Casino de Monaco....

En 1925, Marcel Duchamp a arrêté de peindre et se consacre aux jeux et notamment au jeu d'échecs. Il réfléchit à un moyen de financer un système soit-disant infaillible pour gagner à la roulette... Pour se constituer un capital de 15000 francs, il lui suffit, pense-t-il, d'émettre des bons de la Roulette de Monte-Carlo de 500 francs à intérêts de 20% "remboursables au pair sur 3 ans par tirages artificiels".

Les obligations exhibent l'image d'un Duchamp plus vrai que nature dans son allure de petit diable aux oreilles démesurées, et à la face enduite de mousse à raser. On pense qu'il cherche ainsi à ressembler à Mercure, le dieu du commerce. On retrouve son portrait dans la roulette, photographie de son ami Man Ray.

En haut du titre, il imprime en continu sur plusieurs lignes le jeu de mot suivant : moustiques, domestiques, demistock. On retrouve au dos des extraits des statuts de la compagnie. 

Chaque obligation porte les signatures de Duchamp et celle d'un pseudonyme "Rrose Selavy", nom sous lequel Marcel est presque aussi connu que sous le vrai. Duchamp y apparait comme le président de la société. Cette signature vaut dors et déjà plus que la valeur de l'obligation. 

Un timbre de 50 centimes est collé sur le titre, ce qui garantit sa valeur juridique.

Seulement 30 bons sont prévus et au final seulement 8 auraient été imprimés en 1924, signe qu'il ne trouva sans doute pas beaucoup d'acheteurs, la plupart ayant été vendus à des proches dont Jacques Doucet, Marie Laurencin, Ettie Stettheimer, George Hoyningen-Hune. Le 2 décembre 1925, on sait que Doucet perçut un premier dividende de 50 francs (les coupons étant de 25 francs).

Il vendit un exemplaire (le numéro 22, indiqué sur le timbre et sur chaque coupon) à son amie proche Madeleine Turban, de Rouen, qu'il avait rencontré en 1917 à New-York lors d'une vente au profit de la Croix Rouge.

Duchamp offrit le numéro 12 (non timbré) au Musée d'Art Moderne de New York. Certains exemplaires furent exposés dans des musées lors d'expositions sur Marcel Duchamp (Venise, Bâle).

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Obligation originale numéro 30, avec timbre de 50 centimes comportant la mention RS. 
vendue aux enchères par la maison Christies à New York en 2015 au prix de 2.405.000 USD!

En 1938, le journal XXème siècle lui demande pour son édition de Noël une reproduction et Duchamp propose une lithographie facsimile du titre numéro 12 qui n'avait pas été tamponné.

La lithographie (numéro 12) a atteint il y a plusieurs années 20 000 francs dans des ventes aux enchères (environ 3000 euros) et fut récemment vu dans des ventes de titres anciens avec une estimation autour de 5000 euros.

Si les acheteurs des bons n'ont sans doute pas récupéré leur mise à l'époque, leurs héritiers ont eu toutefois beaucoup plus de chance. L'original numéro 1 s'adjugea 820.000 € lors d'une vente aux enchères à New-York en 2010. Un autre original, le numéro 30, propriété d'un membre de la famille Matisse qui l'acquit de Mme Marcel Duchamp à Neuilly-sur-Seine, fut vendu plus de 2 millions de dollars US lors d'une vente par la célèbre maison Christies à New-York en 2015 !

* Dadaïsme : nom donné à un mouvement artistique animé par un esprit de révolte, de provocation et de dérision contre l'art bourgeois et l'ordre établi. Lancé par Tristan Tzara, le dadaïsme (c'est-à-dire l'école, le mouvement dada) est à l'origine du surréalisme. Se sont illustrés dans le dadaïsme : Marcel Duchamp, Man Ray, Edgar Degas, Picasso...

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